Présentation du cours d’Anouk Bartolini « Le corps politique : histoire d’une métaphore". Janvier 2018
PRÉSENTATION DES DEUX SÉANCES LE 16 JANVIER 2018
LE CORPS POLITIQUE : HISTOIRE D’UNE MÉTAPHORE
L’intitulé du thème de l’année « Le corps dans tous ses états" pouvait induire un rapprochement entre « corps" et « état". J’ai suivi la piste d’une comparaison entre l’État (avec une majuscule) politique et le corps humain. Ce rapprochement entre deux réalités éloignées, ici une réalité abstraite (l’État) et la réalité la plus concrète, la plus incarnée pour l’être humain, le corps, constitue ce qu’on appelle une métaphore: on parle du « corps politique". Cette métaphore en usage dès l’Antiquité grecque et romaine, a traversé l’histoire de la pensée politique.
Pour suivre les variations de cette métaphore, j’ai choisi de partir du Moyen Age européen et chrétien, d’un moment où la naissance de l’image du corps politique est indissociable de la représentation de la figure du roi. D’après les écrits des juristes anglais du XVIe siècle que l’on peut lire dans l’ouvrage de l’historien Ernst KANTOROWICZ, « Les deux corps du roi , essai sur la théologie politique au Moyen Âge", le roi aurait deux corps : un corps humain, naturel, charnel, soumis aux passions, au temps, aux maladies et à la mort et un autre corps immortel et collectif, le « corps politique" ou « corps mystique"; ce dernier serait constitué de la tête, le Roi qui a le pouvoir de gouverner et des membres, les sujets du royaume, incorporés au roi tout autant que le roi est incorporé à eux. Ce corps politique doit à ses origines chrétiennes une forme de sacralité rendue manifeste par la mise en scène de la pompe royale autour du corps du souverain.
Cette théorie juridique n’a, bien sûr, plus cours de nos jours, mais elle exerce encore une grande séduction sur l’imaginaire. La fiction des deux corps du roi, dissimulée sous les habits présidentiels, fait florès dans la sphère médiatique de notre « monarchie républicaine". Ne parle-t-on pas des «deux corps du président », dans un ouvrage consacré à François Hollande et des « deux corps du roi et ses avatars républicains", dans un article analysant la défaite de Nicolas Sarkozy à la présidentielle. Quant à Emmanuel Macron, par ses déclarations et son désir de multiplier les signes symboliques de la verticalité, « Il vise à concilier, sous l’habit du président, les « deux corps du Roi", théorisés par Kantorowicz.", selon le journaliste Frédéric Says.
Pour rendre compte des métamorphoses du « corps politique" à partir de la fiction des deux corps du roi, j’ai suivi plusieurs pistes ;
Première piste : j’ai tenté d’observer les interprétations différentes qu’ont données les monarchies anglaise et française des deux corps du roi. En Angleterre, il y a un décalage entre le corps physique du roi et son corps politique qui fait une place au parlement. Dans la monarchie absolue française, les deux corps n’en font qu’un, la dualité a disparu : « L’État, c’est moi », selon la formule prêtée à Louis XIV.
Deuxième piste : je me suis intéressée au transfert du corps politique du roi vers le corps d’une entité collective ,le peuple, lors de la Révolution française et des révolutions de 1830 et 1848, transfert associé à l’idée de république.
La troisième piste aura pour axe central la question posée par le philosophe politique Claude Lefort : peut-on se libérer de la fiction des deux corps du roi ? Lefort crée le concept de désincorporation qu’il associe à la démocratie.
Deux œuvres littéraires illustreront ces problématiques : le drame historique de Shakespeare, Richard II, donne, à travers le récit d’une abdication, une version tragique de la séparation des deux corps du roi. Cette pièce sera au cœur de la première séance centrée sur l’Angleterre.
Dans la seconde séance consacrée à la France, avec le cycle d’Alexandre Dumas situé pendant la Révolution « Mémoires d’un médecin », nous nous interrogerons sur le difficile transfert du corps royal désormais déchu à un peuple en train de se construire.
Anouk BARTOLINI
BIBLIOGRAPHIE PREMIÈRE SÉANCE
OUVRAGES
HOBBES, Thomas, Léviathan, traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république ecclésiastique et civile, traduit de l’anglais par François Tricaud, Éditions Sirey, Paris, 1983.
KANTOROWICZ, Ernst, L’Empereur Frédéric II-Les deux Corps du Roi, Gallimard, Quarto, Paris, 2000
SHAKESPEARE, William, La tragédie du roi Richard II, édition bilingue, traduction de Jean-Michel Déprats, Gallimard, Folio, Paris, 1998.
RESSOURCES ÉLECTRONIQUES
BOUCHERON, Patrick Fictions Politiques (7/12) : Face au Léviathan : l’événement visuelhttps://www.franceculture.fr › Émissions › Les Cours du Collège de France2 mai 2017 – Léviathan est-il un monstre bienveillant ou malveillant? ..
BIBLIOGRAPHIE SECONDE SÉANCE
OUVRAGES
Corps, littérature, société (1789-1900), sous la direction de Jean-Marie Roulin, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2005.
DE BAECQUE, Antoine, Le corps de l’histoire : métaphores et politique, 1770-1800, Calman-Lévy, 1994.
DUMAS, Alexandre, Joseph Balsamo, Le collier de la reine, « Mémoires d’un médecin", Gallimard, Quarto, 2012.
DUMAS, Alexandre, Le collier de la reine, Ange Pitou, Robert Laffont, 1980
FOUCAULT, Michel, Surveiller et punir, Gallimard, Tel, 1975.
LEFORT, Claude, L’invention démocratique, Fayard, Livre de poche, biblio essais, 1981.
MARIN, Louis, Le portrait du roi, Les éditions de minuit, Le sens commun, 1981.
MICHELET, Jules, Histoire de la Révolution française, Robert Laffont, 1979.
MICHELET, Jules, Le Peuple, GF Flammarion, 1974.