Compte-rendu de la séance du 28/11/2017 Cours de Jacopo Pasquali
Compte-rendu de la séance du 28/11/2017 à l’UPA
Réalisé par Cyrielle BICHOT-PAQUIEN, étudiante en Master d’Histoire à l’Université d’Avignon
Jacopo PASQUALI – « Quelques réflexions sur la représentation du corps humain entre Orient et Occident"
Lors de cette courte intervention d’une heure et demi, Jacopo Pasquali a tenté de nous montrer les différences et les ressemblances ainsi que les héritages et les ruptures, dans la représentation des corps dans l’art oriental et occidental. Du bassin mésopotamien à la Grèce, puis des mannequins articulés italiens du XVIIIème siècle aux poupées impériales japonaises du XIXème siècle, c’est un tour d’horizon des multiples façons de représenter le corps humain, et des significations qui lui sont rattachées qui nous a été proposé ce soir-là.
Les premières expériences du corps humain en ronde-bosse datent du paléolithique supérieur (-35 000 à – 10 000 environ). Les exemples les plus connus sont la Vénus de Willendorf, petite statuette en calcaire de onze centimètres de hauteur retrouvée en Autriche, dans la région de la Wachau ; et la Vénus de Lespugue, autre statuette en ivoire de mammouth de quinze centimètres de hauteur retrouvée en France, dans la région de Haute-Garonne. On remarque que c’est la symbolique qui prévaut et non le réalisme. Les formes sont exagérément amplifiées : seins énormes tombant jusqu’aux genoux et fessiers protubérants, avec parfois même une incision nettement marquée au niveau du pubis comme dans le cas de la Vénus de Willendorf. Ce sont bien là les parties les plus hautement symboliques de la féminité qui sont mises en avant, telle une ode à la vie et à la fécondité. Il en est de même pour cette statue d’Anatolie, Catal Huyuk (datée entre – 8 500 et – 5 500) considérée comme une représentation de la déesse-mère, assise nue sur son trône, des têtes de morts jonchant à ses pieds. Elle est ainsi non seulement la maitresse de la vie, mais aussi celle de la mort. Enfin, une dernière statuette retrouvée dans l’hypogée de Hal Saflieni (Malte) nous montre une Vénus, cette fois-ci vêtue – mais dont on perçoit toujours les larges formes – et qui semble endormie, comme une représentation de la Nature au repos lors de la saison hivernale nous suggère M. Pasquali. Toutes ces œuvres ont une vocation cultuelle et portent hommage à la vie, ou à son pendant, la mort et le sommeil. Il en est autrement pour les statues sumériennes…
Les statues retrouvées dans le bassin mésopotamien et appartenant à la civilisation sumérienne (- 5000 à – 1750 environ) ont fait preuve d’autant de symbolisme mais de manière différente à bien des égards. Allure hiératique, barbe ronde postiche, pieds très schématisés, ce n’est toujours pas le naturalisme qui importe mais la représentation des insignes royales, de la dignité du souverain. Dans d’autres cas, ce sont les mains croisées sur la poitrine qui servent à la représentation du don d’offrande : ce sont des statues d’orants (cf. armée des douze statues du temple d’Abu à Tell Asmar, aujourd’hui conservées au Metropolitan Museum de New York). En revanche, à la différence de la statuaire de l’époque paléolithique, on remarque immédiatement l’attention portée aux yeux. Grands, et même exagérément grands, ils sont accentués par le trait autour de l’arcade sourcilière. Le regard prend de l’importance, surtout que ceux-ci sont généralement réalisés grâce à l’incrustation de pierres précieuses comme le lapis-lazuli. Mais le corps aussi prend de l’importance, notamment avec la séparation de la partie supérieure du corps avec sa partie inférieure au niveau de la jupe, donnant un certain dynamisme à la composition (cf. Statue de Ebih II, retrouvé au temple d’Ishtar et aujourd’hui conservée au musée du Louvre). Les représentations de femmes évoluent de celles connues jusqu’alors, emmaillotées dans leurs lourds vêtements, leur corps est désormais caché (statue de femme assise retrouvée au temple d’Ishtarat et aujourd’hui conservée au Damascus National Museum). A l’inverse, la découverte de la Dame de Warka, une tête de femme d’une vingtaine de centimètres de hauteur réalisée dans du calcaire, du marbre et avec des incrustations de lapis-lazuli semble préfigurer les statues chryséléphantines que nous connaissons mieux dans le monde méditerranéen à travers la civilisation grecque…
En effet, l’utilisation de plusieurs matériaux tels que l’ivoire, le calcaire, le marbre, mais aussi le bois ou bien les pierres précieuses est une pratique qui se retrouve dans la statuaire grecque. La plus connue étant la statue d’Athéna Parthénios. Or, déjà cette pratique se retrouve dans la mythologie grecque : le premier Homme n’est-il pas fait de terre et d’eau, c’est-à-dire de plusieurs matériaux ? De même, le géant Tholos n’a-t-il pas le corps entièrement recouvert de métal ? Dans certains cas, le matériau choisi peut servir à changer la couleur de la peau (cf. statue d’Artémis d’Ephèse, connue grâce à des copies romaines et dont la peau est parfois noire, et parfois blanche – sa spécificité tenant toutefois davantage à la multitude de gibecières qui pendent de sa poitrine et qui font penser à des seins), rappelant là-encore la pratique sumérienne de représenter les statues parfois à la peau claire, et parfois à la peau sombre, selon qu’elles soient synonymes de vie ou de mort. Par ailleurs, les Grecs pensaient que leurs dieux pouvaient venir habiter le corps de ces statues lors des manifestations cultuelles. A ce titre, elles étaient donc lavées et habillées, comme lors de la fête des Panathénées à Athènes par exemple.
Si l’on se rapproche des périodes plus récentes comme le XVIIIe siècle, on retrouve cette utilisation multiple des matériaux et de l’habillement. C’est le cas pour les santons de la crèche, notamment en Provence, dont les membres visibles (visage et mains) étaient faits de cire, tandis que le reste du corps était fait de bois, puis recouvert d’habits. Cette pratique a même trouvé son apogée en Italie avec les mannequins articulés de Gênes (cf. Pasquale Navore, Le gendarme de Gênes). Certains ayant même une individualité d’autant plus marquée grâce à des expressions faciales grimacées et mélancoliques. Le corps devient ainsi l’acteur d’une représentation théâtralisée. Grâce à tous ces artifices (articulations, peau de cire, vêtements), la vie semble l’habiter mais la croyance qu’une divinité peut venir l’habiter a disparue.
Enfin, au pays du soleil Levant, une tradition autour de la représentation du corps a également existé à travers la réalisation de poupées. Petites poupées recouvertes de tissus, elles ont connu leur apogée à l’époque Meji (1868 – 1912) et représentaient la famille impériale ou les membres de la cour. Dotées d’un pouvoir protecteur, elles étaient offertes aux enfants. Puis, les représentations ont évolué vers la figure de la poupée « bijin" qui devait servir de modèle à suivre pour les jeunes filles, ou bien de poupées masculines illustrant les vertus guerrières dont les jeunes garçons devaient s’inspirer (ex : Musha Ningyo de Ojin Tenno). Ces poupées adoptent alors une dynamique toute particulière : elles sont en suspension, le pied en l’air, elles sont comme figées dans un mouvement de combat.
C’est ainsi que les représentations du corps entre Orient et Occident s’achève. Jacopo Pasquali nous a ainsi montré plusieurs exemples illustrant les diversités dans la manière de représenter mais aussi de concevoir le corps : réalisé avec symbolisme ou naturalisme, dans une posture hiératique ou dynamique, avec un ou plusieurs matériaux, rempli d’une charge sacrée ou simulacre d’un être réel, le corps est à l’image de la culture qui l’a produit. Bien entendu, il ne s’agit là que de quelques pistes de réflexions, le sujet étant bien plus vaste à étudier que ne le permettait cette courte séance, néanmoins très enrichissante pour le corps, et l’esprit !