Présentation du cours de Muriel Damon (2010)
Modernité et féminisme
D’un point de vue historique, l’ère moderne commence en 1453 avec la chute de Byzance ou en 1492 avec la découverte de l’Amérique et se
termine en 1789, date à laquelle débute l’ère contemporaine. Cependant le
concept de modernité apparaît en 1830 sous la plume de Th. Gautier et de
Baudelaire. On peut donc situer la modernité dans l’époque que les manuels
d’histoire nomment contemporaine et nous considérer encore comme des modernes dans la mesure où nous sommes les héritiers d’une certaine façon d’appréhender le devenir qui émerge à la Renaissance. La modernité, en dépit de son histoire et de son rayonnement dans toutes les sphères de la société, me semble étrangement cohérente. De l’opposition initiale du moderne au traditionnel appelant le nouveau, on peut déduire les différentes caractéristiques de la modernité : l’inversion du mythe de l’âge d’or révolu, la critique des fondements traditionnels et religieux de la société, le culte de la raison, la sacralisation de l’individu et la liberté comme fin ultime de l’histoire. La modernité brise l’interdit du savoir au nom de la liberté et de l’égalité, invite à manger le fruit de l’arbre de la connaissance, qui loin de nous chasser du paradis, peut seul nous permettre de bâtir par nous-mêmes un monde à la mesure de l’homme, libéré des tutelles. Tel est le credo de la modernité magnifiquement exprimé par Marx dans la Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel :
« La critique de la religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il
pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme désillusionné parvenu à l’âge de la raison, pour qu’il gravite autour de lui-même, c’est-à-dire de son soleil réel. La religion n’est que le soleil illusoire qui gravite autour de l’homme tant que l’homme ne gravite pas autour de lui-même ».
La modernité a-t-elle pour autant lavée la femme du châtiment la condamnant aux douleurs de l’enfantement et à la domination masculine ? La femme moderne est certes dite libérée. Mais deux questions se posent néanmoins :
Première question. Pourquoi la modernité a-t-elle été jusqu’en 1938 davantage répressive que libératrice à l’égard des femmes ? Comment expliquer cette clôture de l’universalisme rationaliste qui , tout en appelant chaque individu à exister de plein droit, exclut paradoxalement les femmes ?
Deuxième question. La femme, au cours de la seconde moitié du XXè siècle, a conquis l’égalité juridique avec l’homme, le mari, le père de ses enfants. Et pourtant les mécanismes de différenciation sociale des sexes perdurent. Gilles Lipovetsky dans La troisième femme remarque que « l’homme reste associé prioritairement aux rôles publics et « instrumentaux »,
la femme aux rôles privés, esthétiques et affectifs ». Cette répartition
des rôles est-elle la survivance d’archaïsmes destinés à disparaître ?
N’est-elle pas plutôt une des manifestations de la postmodernité ?
Muriel DAMON