Présentation du cours de Raphaël Kunstler (janvier 2010)
LA MODERNITÉ SCIENTIFIQUE : COMMENT LE CONFLIT PEUT-IL CONDUIRE AU PROGRÈS ?
Les sociétés, pas plus que les organismes, n’échappent au temps et au changement. Mais le rapport des sociétés au temps et au changement change selon les époques et les lieux. En effet, on peut considérer que le présent doit imiter le passé, préparer le futur ou bien ne rien ambitionner
d’autre que rester en lui-même en abolissant la mise en ordre du temps par la succession. Ces trois régimes de rapport au temps peuvent servir à définir, schématiquement, le traditionalisme, le modernisme et le post-modernisme.
Ainsi, traditionnellement, on caractérise la modernité par un rapport au
temps que l’on qualifie de progrès : le progrès est un fait, produit de l’action conjointe d’un ensemble de générations. Celles-ci, cependant, n’ont pas agi involontairement et inconsciemment : le progrès n’est pas seulement un résultat, il est d’abord un projet. Comment ce projet a t-il pu fournir ce résultat, c’est-à-dire devenir un succès, cela doit être expliqué par l’usage d’une méthode et d’une organisation sociale. En effet, l’un des changements essentiels que l’on observe à l’époque moderne est l’émergence d’une foi en la capacité des humains à prendre en charge leurs vies, ce qui a suscité une réflexion sur les conditions de l’action efficace dans les domaines économique, politique, stratégique, religieux mais aussi scientifique.
En ce qui concerne la science, entendue comme une entreprise d’exploration de la réalité et de production de représentation vraies du monde, trois
innovations méthodologiques et sociales ont rendu possible le progrès : l’invention de la méthode expérimentale, la mathématisation de la représentation du monde, la production d’un espace commun de discussion. Ces inventions n’ont pas d’auteur unique, mais une série de protagonistes qui, dans des situations familières, se mirent à agir de manière nouvelle. Comment ces innovations furent-elles possibles ?
J’aimerais montrer comment c’est dans l’expérience du conflit et de la querelle que se sont élaborées des procédures qui, aujourd’hui, nous paraissent couler de source. A cette fin, je m’appuierai sur le cas de Pascal en essayant d’observer et de comprendre comment, en situation d’antagonisme, il a réinterprété, reformulé, réutilisé et amendé les gestes et les règles qu’avaient élaborés peu auparavant Galilée, Bacon, Descartes.
Le cours sera structuré autour de l’implication de Pascal dans la querelle du vide (1647-1648) :
- J’étudierai d’abord les méthodes de production de consensus que Pascal théorise.
- Puis j’analyserai les différentes étapes de la participation de Pascal à la querelle du vide en insistant sur le caractère immergé de sa réflexion : chaque étape de son étude de la nature est la réponse à l’attitude d’individus déterminé sur lesquels les méthodes connues de production de consensus sont sans effet.
- Enfin, je montrerai que l’expérience de la méthode expérimentale servit à Pascal de modèle pour comprendre d’autres conflits, à savoir les conflits politiques et religieux.
Raphaël KUNSTLER